Un nouvel internationalisme progressiste pour le 21 e siècle
La résilience des forces progressistes perdure mais doit être prolongée par un renouveau de l’élan révolutionnaire des peuples et des travailleurs pour un ordre multipolaire. C’est l’impératif du transinternationalisme, soit dans notre ère une globalisation des luttes progressistes convergentes irradiant d’abord de la contradiction anti-systémique incarnée par le Sud global. Dans ma perception ce trainternationalisme a la capacité de découvrir et remplacer le développement par un essor plus épanouissant pour les vivants: l’équilibrage autoentretenu.
La généalogie de l’odyssée
C’est au cœur du Forum des alternatives animé par François Houtard et Samir Amin que l’idée de renforcer un noyau de progressistes pour consolider le front internationaliste a germé. Il fut soutenu par un laborieux effort, surtout au sein du Forum Tiers monde porté à bout de bras par un groupe de militants toujours combattifs malgré un marathon de plus de 4 décennies. La stratégie s’est caractérisée par des réseautages, publications, rencontres, événements et réunions. Les plus visibles eurent lieu principalement au sein d’une enclave du Forum social mondial ou d’événements parallèles au gré des occasions que quelques rares pays socialisants pouvaient abriter.
Peu avant son décès en août 2018, Samir Amin a écrit :
« Il est impératif de reconstruire l’Internationale des travailleurs et des peuples ».
En quête de nouvelles alliances de mouvements populaires et de leurs partisans intellectuels radicaux, afin d’envisager la prochaine étape de la lutte socialiste mondiale, nos camarades défunts Samir Amin, Giovanni Arrighi, Hugo Chavez, Marta Harnecker, François Houtart et Immanuel Wallerstein, ainsi que nous tous, ont travaillé à cette perspective.
Cette idée d’une internationale globale est nécessaire aujourd’hui, plus que jamais, pour ceux et celles d’entre nous convaincu-es de la nécessité absolue d’un mouvement mondial de gauche. C’est précisément dans ce but que nous avons créé l’année dernière, depuis le berceau du Forum mondial des alternatives, un groupe ad hoc chargé de préparer les conditions d’avènement de ‘’l’Internationale des travailleurs et des peuples’’. Ceci se poursuit en coopération avec d’autres organisations, militant-es et chercheur-es de même sensibilité travaillant pour la justice, la liberté et une forme progressiste de développement durable.
Il s’agit de construire un réseau de soutien pour contribuer à l’élan radical essentiel dans le monde, où un quart de tous les pays connaissent des situations propices à l’insurrection sociale. Les événements marquants ranimés par la pandémie qui se déroulent dans le monde aujourd’hui exigent de toucher toutes les forces progressistes concernées dans le monde entier.
Je partirais d’une portion de l’Appel de Samir Amin :
«Vers une Cinquième Internationale ?
La mondialisation des stratégies du capital dominant appelle celle de la riposte de ses victimes. Alors pourquoi ne pas concevoir qu’une nouvelle Internationale puisse fournir un cadre efficace pour la construction des convergence nécessaires au succès des luttes engagées par les peuples contre le capital ?
La réponse que je fais à cette question est positive, sans hésitation, mais à condition que l’Internationale envisagée soit conçue comme le fut la Première, et non la seconde, la troisième ou la quatrième. Autrement dit une Internationale socialiste/communiste ouverte à tous ceux qui veulent agir ensemble pour construire la convergence dans la diversité. Le socialisme (ou le communisme) est, dans cet esprit conçu comme le produit du mouvement, non déduit d’une définition préalable. Dans cet esprit je suggérerai que soient définis les objectifs immédiats communs suivants:
(i) Mettre en déroute le libéralisme à tous les niveaux, du national au mondial. Cet objectif implique la restauration des droits souverains des peuples, la condamnation de la conception impérialiste/coloniale de la gestion libérale mondialisée. Des propositions d’objectifs à terme immédiat sont concevables dans cette perspective, comme par exemple l’exclusion de l’agriculture de l’agenda de l’OMC, l’abrogation des décisions imposées par les puissances impérialistes concernant les droits de propriété intellectuelle et industrielle, l’abrogation des décisions qui entravent le développement de méthodes de gestion non marchande des ressources naturelles et des services publics, l’abrogation des interdictions de régulation, concernant les mouvements de capitaux, la proclamation du droit des Etats à répudier les dettes qui, après audit, s’avéreraient immorales ou odieuses etc.
(ii) Mettre en déroute le programme de contrôle militaire de la planète par les forces militaires des Etats Unis et/ou de l’OTAN. Cet objectif implique la condamnation sans réserves de la répudiation du droit international par les Etats Unis, de « l’autorisation » qu’ils se sont donnés de conduire des guerres préventives de leur choix, la restauration de l’ONU dans ses fonctions, etc.
(iii) Mettre en déroute en Europe les conceptions libérales et atlantistes qui constituent le fondement des institutions de l’Union Européenne. Cela implique la remise en question de fond en comble de toute la construction institutionnelle européenne et la dissolution de l’OTAN.
Des initiatives ont déjà été prises allant dans le sens de la précision des objectifs de stratégies de convergence qui correspondent à la vision générale du défi proposée ici. La journée du 18 Janvier 2006, organisée à Bamako à la veille de l’ouverture du Forum Social Mondial Polycentrique 2006 (Bamako et Caracas), a été consacrée précisément à débattre de ces propositions de stratégie de lutte et de construction de la convergence dans la diversité. L’objectif de la Cinquième Internationale suggérée, ou plus modestement et en attendant des propositions de stratégies d’action de l’Appel de Bamako auxquelles je renvoie ici, est de contribuer à la construction de l’internationalisme des peuples. La phrase concerne donc tous les peuples, du Nord et du Sud, comme elle fait référence non au seul prolétariat mais à l’ensemble des classes et couches populaires victimes du système, à l’humanité dans son ensemble, menacée dans sa survie. Cet internationalisme n’exclut pas le renforcement de la solidarité des peuples des trois continents (Asie, Afrique, Amérique latine) contre l’agression de l’impérialisme de la triade. Au contraire ces deux internationalismes ne peuvent que se compléter et se renforcer l’un l’autre. La solidarité des peuples du Nord et du Sud ne peut être fondée sur la charité, mais sur l’action commune contre l’impérialisme.
Le renforcement de l’internationalisme des peuples créera des conditions favorables facilitant des avancées dans trois directions qui, conjuguées ensemble, en association étroite et non dissociées les uns des autres, construisent l’alternative : le progrès social, l’approfondissement de la démocratisation, l’affermissement de l’autonomie nationale dans une mondialisation négociée».
Les 65 ans du non alignement sont l’opportunité de tourner la page en cette ère unipolaire et son engrenage fatal. Le transinternationalisme propose une formule plus audacieuse pour adapter l’internationalisme aux nouvelles physionomies économiques culturelles et géopolitiques qu’impose l’expansion capitaliste mondialisée. Les non-alignés ont survécu à la guerre froide et subissent plus que jamais l’unipolarité géopolitique et économique de l’ordre marchand. Il est temps de tourner la page et de prendre position; de s’aligner sur le front du sud et de l’internationalisme réactualisé. Les alignés transinternationalistes, résolument anti-impérialistes et anti-capitalistes, se cristallisant dans le sillage de l’internationalisme du 20 ème siècle, articulent au 21 è siècle leurs stratégies sur la défense du ‘bien’ commun et la reconquête de la souveraineté des formations sociales dans la perspective d’une cinquième internationale des peuples.
En adaptant l’internationalisme aux nouvelles dimensions transnationales, nous plaidons pour la réorganisation planétaire dans une éthique universaliste et la transition écologique et sociale, se redéployant à partir du Sud principalement, et irradiant les espaces restructurés progressivement au Nord ; et en redécouvrant, dans l’urgence écologique, l’égalitarisme des chances, la justice sociale, et l’engagement individuel de l’humain. Cet engagement personnel, qui doit être démultiplié par la résistance collective de la communauté humaine, doit s’attacher d’abord à lutter pour la sauvegarde des communs (‘biens’ communs et ‘biens’ publics mondiaux) et l’atteinte pour tous des besoins essentiels de la dignité humaine.
La logique de l’ordre marchand est destructrice des relations sociales et de l’environnement et elle s’est encastrée dans le développement et l’a dévoyé dans une accélération économiciste. La mondialisation, pourtant une réalité historique plusieurs fois centenaire, est devenue un euphémisme pour désigner l’accélération de l’accumulation capitaliste et le redéploiement de l’impérialisme sous l’impulsion des oligopoles, d’une ploutocratie et des derniers pans résistants des États encore géopolitiquement dominants. La ponction que cette conjonction d’oligopoles, ploutocrates et États encore dominants exerce sur l’exploitation du travail et sur la surplus-value accentue la polarisation mondiale. L’asymétrie économique se double d’un malentendu entre modernisation et occidentalisation qui accentue les tendances à l’homogénéisation et uniformisation du monde sans être capable de la concrétiser, autrement que sous la forme d’une aspiration pour des masses hypnotisées
Soumis à d’interminables ajustements économiques dans les 3 décennies passées, les pays de la périphérie semblent tétanisés et en rangs dispersés sous la brutale dépossession qu’ils subissent. Certes, des résistances persistent et surtout «l’émergence» de géants du BRICS– toujours à moins de 15% du PIB mondial- ayant relativement maitrisé leur accumulation, au point de menacer l’hégémonie des blocs dominants de l’impérialisme collectif- Etats Unies-Europe-Japon.
L’impérialisme collectif ayant perdu sur le terrain économique est réduit à tenter de coopter dans le G20 ces pays qui ont émergé, à contenir et faire stagner tous les autres et à recourir au volet militaro stratégique pour réaffirmer sa prééminence dans le sud. Cette manœuvre se fait par la mainmise des ressources naturelles, en instrumentalisant les conflits, divers expressions terroristes et sommant tous les pays à s’aligner sous leur croisade sécuritaire qui conditionne désormais la coopération internationale et les investissements directs. Il y a là un autre ferment à la résistance d’un front du sud.
En dehors d’une coopération nord-sud solidaire qui demeure une chimère entretenue par les élites, il existe des tendances objectives, dans l’effort d’insertion active des pays du sud dans l’économie monde, qui affleurent au Sud malgré la compradorisation d’ élites dirigeantes qui s’est massifiée. En s’objectant à la fuite de capitaux, en tentant de réguler les investissements, en assurant leur autosuffisance alimentaire et la protection de leur production et paysannerie, en développant des anticorps contre le virus neolibéral, l’esprit de Bandung persiste.
Unis contre l’oppression des nations, son potentiel de retrouver le sentier du développement autocentré et de renforcer le front tricontinental est la seule sortie de crise possible du Sud global. Mais cette refondation du front de Bandung est éminemment politique et passe par la redécouverte de l’internationalisme et la défense du bien commun. La repolitisation démocratique de nos masses populaires et s’interposer contre la militarisation du monde passent par la refondation d’un front tricontinentale pour contrer l’élan militaire de l’impérialisme collectif et cheminer vers l’équivalent d’une 5 ème internationale. Dans ma section de ressources dénommée Classe de luttes sont compilés des outils de réflexion et d’action. Si vous voulez nous écrire, voici l’adresse internationaleworkerspeople@gmail.com
En avant vers le transinternationalisme !