La redynamisation du panafricanisme passe aussi par plusieurs urgences à l’heure où les obédiences diverses de ce mouvement connaissent un renouveau au 21 e siècle. On peut déplorer que l’Afrique n’a toujours pas de développement continental et s’égare dans les dédales d’un prétendu espace de libre -échange et c’est pourquoi nous l’encourageons dans ce sens en proposant l’alternative du panafricentrage. Ce renouveau nécessite un redéploiement et l’unité de ses progressistes.

Un prétexte d’unité serait de lancer une conférence internationale et panafricaine sur l’accaparement des terres et des ressources africaines (minières et halieutiques), surtout les terres agricoles, à l’instar de celle de l’avocat trinidadien Henry Sylvester Williams, qui en lançant en 1900 un événement consacré à cet enjeu impulse le panafricanisme. L’oeuvre de W.E.B Dubois, de Marcus Garvey, Lamine Senghor, Garan Kouyate, Price Mars C.L.R James, Casely Hayford, Alioune Diop et Présence africaine dès 1947 propulsera les congrès et projets panafricains. Leur leg est prolongé par leurs successeurs comme Lumumba, Ben Barka, Fanon, Nkrumah, Cabral, Sankara. Rosa Parks, Makonnen, Malcom X, Booker T Washington, Kenyatta, Cheikh Anta Diop, Rodney, Wangari Mathai, Chris Hani, Mandela… Ces «ancêtres de l’avenir» nous servent encore de phare dans l’accumulation par dépossession qui semble prendre le pas sur la reproduction élargie. Elle serait la coercition que le mode de développement capitaliste impose au niveau politique social culturel et économique à l’humanité défavorisée.


Le panafricanisme gagnerait dans ces circonstances et dans le sillage de nos ancêtres de l’avenir à être infléchi vers deux impératifs que suggère le panafricentrage. La reconstitution de son africanité et un renouveau progressiste pour maîtriser l’accumulation et développer nos forces productives. Tous deux doivent revenir sur la question du progrès, de la modernité et donc du développement et lui déterminer d’autres impératifs homéomorphes (c’est à dire qui tiennent compte de leur équivalent local). L’africanité comme le renouveau panafricain pourraient être axés sur l’équilibre de la maat et de l’internationalisme. En d’autres mots, les racines fécondes qui permettent un avenir harmonieux pour l’Afrique et sa diaspora. Renouer sans passéisme narcissique avec nos racines communes, les régénérer scientifiquement après les assauts historiques ayant mené à l’amnésie et l’apathie.

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La panafricentrage, comme reconstitution du panafricanisme révolutionnaire, permet non seulement une critique de l’africanisme occidentalocentrique, mais aussi une relecture sans complaisance, objective et historique de l’Afrique et son apport à l’avènement du système monde. Ceci passe par la pleine reconnaissance de l’origine monocentrique de l’humanité qui annihile toute forme de racisme et d’eugénisme; par le rétablissement de l’antériorité de civilisations négro-africaines de l’antiquité et de la contribution de celles-ci, comme des celles des périodes traditionnelles subséquentes à l’édification des systèmes monde.  C’est donc la compréhension de comment l’Afrique a servi la périphérie de l’Europe, c’est-à-dire les Amériques, avant de devenir elle-même la périphérie du capitalisme dont elle a contribué à l’édification. La financiarisation transnationale et ploutocratique bouscule les modes de régulation essoufflés et impose le supraimpérialisme qui repousse les formes connues de la mondialisation. Ce supraimpéralisme (supra, du latin au- dessus, plus haut) désigne les extensions multiformes de l’espace du capital dans lequel différents vecteurs oligopolistiques tentent d’infléchir l’économie mondiale. L’expansion démultipliée dans les trois dernières décennies des actifs financiers, leurs formes hybrides de portefeuilles et dérivés et autres tritrisations, permettent à la financiarisation de se coupler aux différents secteurs de la vie productive et de la consommation, de les influencer et d’induire des changements structurels au sein de l’économie globale. J’ai appelé supraimpérialisme la forme particulière que fait prendre le néolibéralisme transnationalisé au segment des oligopoles financiarisés qui se reproduit dans les trois dernières décennies. Ses contradictions le poussent à intensifier le mode de production et de consommation prédateur malgré l’impasse à laquelle il le voue. La contradiction la plus aiguë du système se jouera entre les Centres- États-Unis, Japon, Europe- en déclin et les formations sociales émergentes, dont le peloton de tête- les BRICS peuvent autant revigorer le capitalisme qu’hâter les chances de sa restructuration dans une autre direction. Cela à condition qu’elles optent pour un sursaut autocentré et un monde plus polycentrique, mais pour l’instant tous lorgnent vers l’Afrique dans une perspective de prédation.  Les intérêts de classe de leurs dirigeants et ceux de leurs peuples seront déterminants à cet égard, et le cas de l’Afrique du Sud à lui seul en est un microcosme. L’Afrique, qui pourtant contribue tant à la croissance mondiale, est pour l’essentiel de ses formations sociales encore enfermée dans l’économie de rente de la vieille division internationale du travail. Cet ordre rime davantage avec l’Afrique des ressources désormais bradées par des firmes transnationales et des personnes d’État et gens d’affaires locaux peu soucieux de la condition et du devenir des Africaines et Africains. La stratégie de contrôle militaire des forces de l’impérialisme sur nos ressources et nos résistances ne s’estompera pas.




Le panafricentrage c’est aussi l’autocritique de la collaboration et la félonie qui a permis la perpétuation de la servilité et la continuation des formes comprador de pouvoirs. Par elles, l’Afrique demeure dans cette condition la maintenant dans une injuste et désuète division internationale du travail, laquelle se reconduit désormais avec des dynamiques endogènes prédatrices.

La nécessité du renouveau passe par la lutte contre l’amnésie quasi collective de l’Histoire concrète de l’Afrique et de sa diaspora, mais surtout par le sursaut nécessaire tirant les leçons des luttes anti-impérialistes et de décolonisation; des indépendances négociées et des luttes de libération nationale et surtout de l’échec du panafricanisme institutionnaliste. C’est admettre le caractère toujours inachevé de la libération totale de l’Afrique et de ses diasporas face à la vague de dévastation induite par l’expansion impérialiste.


Cet aggiornamento suppose une réorganisation hardie des forces du changement, notamment notre jeunesse qui, malgré sa capacité d’indignation et de réaction, a vécu plus trois décennies de dépolitisation et de désaffection politique. Ce phénomène fut autant entretenu par nos États désengagés de l’économie, fonctionnant sous procuration des institutions de développement, que par la réduction du champ de vision de nombre de nos partis politiques englués dans les scenarii de factices démocraties pluralistes, de coalitions artificiellement consensuelles et de sociétés civiles cooptées. Les inégalités sociales augmentent si inexorablement que les réformistes n’entrevoient que de resserrer la fiscalité et la réglementation, pendant que les peuples fulminent la révolte réactive ou sombrent dans les replis identitaires.

Nous sommes astreints à un impératif et immense effort de stratégies et d’unité, mais aussi le sens de l’introspection du respect de soi et des autres.  Dans cet élan, où certains souhaiteraient étiqueter le panafricentrage comme une des doctrines africaines, je précise que afrocentré ou afrocentricité doivent être préférés à afrocentrisme. Afrocentrisme comme eurocentrisme sont justement les formes de culturalismes et autres intégrismes qu’il faut critiquer et dépasser et qui demeurent des impasses.


Lepanafricentrage se propose plutôt d’être une doctrine puisant dans des racines réactivées. Le panafricentrage s’articule, d’une part, autour d’une philosophie qui prône la maa’t (au sens d’équilibres cosmique, terrestre et personnel, de vérité et de justice sociale) et la redécouverte de nos schémas historiques socioculturels et politiques de régulation. Il repose, d’autre part, sur une praxis d’intégrité menant à un progrès autocentré panafricain internationaliste, non sexiste et écologique pour une contribution à un monde polycentrique et le retour de toutes nos diasporas.

C’est un historique maatérialisme, partant des conditions historiques d’existence matérielle des Africains et africaines; appréhendant leur processus de transformation et de reproduction afin d’atteindre une praxis révolutionnaire. Il incombe aux masses laborieuses et aux intellectuels organiques de l’Afrique et de la diaspora de forger cette alternative contre les phases prédatrices de mondialisation qui n’autorisent que des options compradores et leurs chimériques intégrations continentales. Il nous faut apprendre à endurer et contrer l’oppression en multipliant et en canalisant des milliers de réseaux et ramifications qui vont dans le sens de cet élan panafricain.

Le panafricentrage c’est le processus de conscience politique et historique d’autonomie collective continentale favorisant, par une rupture sélective avec le capitalisme dominant, la maîtrise de l’accumulation, son équitable redistribution. Il promeut la revalorisation de la valeur d’usage et de nos solidarités, un renouveau socioculturel permettant à l’Afrique d’apporter sa contribution active à notre ère.


De plus en plus, les conditions de l’éveil révolutionnaire se précisent. D’abord du fait de la crise financière mondialisée et du populisme qui se répand. Des fermetures des archipels de prospérité aux migrations de nos jeunesses désabusées. À l’exaspération, qui touche désormais plus que les classes les plus pauvres, se mêle le désespoir qui restreint les champs d’horizon embrumés par l’automne de modèles capitalistes séniles et prédateurs. Enfin, il y a un espoir, les percées de l’aube que laissent entrevoir les avancées révolutionnaires timidement amorcées par çi et par là sur le continent et dans nos diasporas. Le Panafricentrage est un développement équilibré qui  exige  élargir la marge de manœuvre des États africains d’abord par une réforme agraire et l’autosuffisance alimentaire.  Il nous faut des modes agraires organiques et des technologies appropriées. Il s’agit de produire et de transformer, en amont et en aval d’une agriculture la plus organique possible et en fonction d’une autre loi de la valeur (équilibre revenu rural/urbain, stratégie de plein emploi, équitable prix de production et de transformation, etc.). Le projet a la forme d’autocentrage collectif (collective self reliance), c’est à dire de permettre l’échange de produits entre les zones et des péréquations entre zones excédentaires et déficitaires. La productivité dans tous les domaines d’activités peut être spectaculaire, tout en y générant le plein emploi dans les étapes de préparation et de transformation de l’agriculture. Une utilisation bioorganique de l’agriculture ne recourt plus à des intrants chimiques et recycle tous ses déchets. Il y est facilement envisageable du biogaz, qui assainit les villages et les villes tout en fournissant l’énergie et aussi coupler à de l’énergie solaire pour combler les besoins énergétiques des communautés. Les métiers qui préparent l’agriculture et ceux qui la transforment fixent des populations qui échappent à l’exode rural, parce que dotées de meilleur revenu et d’une qualité de vie. L’agriculture biologique (biomasse, assolement, percolation, pesticides verts, etc.) est faussement décrite comme moins productive par des industriels de pesticides et d’engrais chimiques et de biotechnologies. Une meilleure concentration professionnelle à l’hectare est possible avec ce modèle intensif intégré préservant l’environnement attenant et une durabilité des écosystèmes arables. Un modèle de permaculture inséré dans la reconstitution de nos forêts où nous devons aussi nous battre contre la biopiracie. Nous prônons donc un développement endurable : l’équilibrage autoentretenu. Il est au cœur de la construction d’un marché intérieur de biens de consommation de masse axé sur nos produits et des importations sélectivement tournées sur nos besoins essentiels.


Le panafricentrage requiert de dépasser l’intégration institutionnelle et accélérer le processus vers l’État fédéral ou confédéral pour mettre en déroute le capitalisme prédateur et l’occupation militaire étrangère à tous les niveaux, du national au continental.

Mais là comme ailleurs, plusieurs obstacles demeurent pour l’avènement d’un panafricentrage. Identifions sommairement des horizons stratégiques imminents conditionnant les luttes de l’Afrique et de sa diaspora à venir et susceptibles de les faire triompher avec l’aide d’internationalistes du Nord :

L’élargissement de la marge de manœuvre de l’état et un élan hardi et audacieux vers le panafricanisme confédéré entre autres minimalement par cette liste non exhaustive :


  • L’autosuffisance alimentaire, la réforme agraire, la modernisation agricole au rythme de chaque société ; l’avènement de marchés de biens de consommation de masse, pour la satisfaction des besoins essentiels.
  • La nationalisation des ressources dans une perspective de participation citoyenne et patriotique.
  • L’industrialisation légère complémentant l’agriculture et le rééquilibrage du revenu ville/campagne.
  • L’intégration régionale et continentale accélérée par complémentarité et péréquation.
  • Miser sur des brevets et une technologie appropriée à notre portée et moyens.
  • Banque centrale, monnaie continentale

Parlement bi- ou tricontinental sur les grands enjeux de développement et de sécurité.


  • Armée continentale et brigade civile de prévention des conflits et de reconstruction post-conflits.
  • Coopération tricontinentale contre la spéculation avec des internationalistes du Nord qui partagent notre lutte contre l’impunité, l’enrichissement illicite et l’atteinte aux droits de la personne.
  • Lutter collectivement pour refuser de payer la dette ; décrocher des programmes de plafonnement de la pauvreté et peser pour réformer les institutions internationales et pour une coopération internationaliste plafonnée à 0,7 % et non liée.
  • L’émancipation totale des femmes et le changement des mentalités masculines.
  • La repolitisation démocratique des masses, auto-organisation contre l’impérialisme, les régimes compradorset les comportements anti-progressistes.

La participation active des jeunes aux mécanismes de décision et de sociopolitique


  • Décrypter les comportements irresponsables consuméristes et ostentatoires et redécouvertes des schémas de solidarité.
  • Sauvegarder les ressources naturelles et environnementales, par un comportement civique et écologique.

Organiser les forces de la diaspora progressiste et les forces vives du continent vers le panafricentrage

Organiser le retour des diasporas africaines volontaires des Amériques et d’ailleurs.


  • œuvrer pour un monde humaniste progressiste et polycentrique et la préservation des «biens» communs par un développement responsable et populaire.